Interview exclusive de Youli Edelstein – 23 mai 2010.
Défendre et expliquer la politique d’Israël à l’étranger, c’était le rôle de Youli Edelstein, du Likoud, lorsqu’il était ministre de la Hasbara et de la Diaspora au sein du gouvernement de Binyamin Netanyahou. Dans un entretien exclusif qu’il nous avait accordé il y a plus de onze ans, il nous avait exposé ses idées sur la question et indiqué comment il concevait sa mission.
Claire Dana-Picard: Vous êtes vous-même un ancien refuznik et vous comprenez donc parfaitement ce que signifie l’hostilité envers Israël et les Juifs à travers le monde. Aujourd’hui, comme on le sait, cette hostilité ne fait que croître. Pensez-vous qu’elle constitue une menace pour Israël ? Je ne parle pas de l’Iran où le danger est évident mais de certains Etats occidentaux où il y a des gens qui n’aiment pas du tout Israël.
Youli Edelstein: Il s’agit malheureusement d’un problème bien réel. Cette délégitimation d’Israël, qui est l’objectif de nos ennemis, se retrouve dans les médias, dans une partie du monde universitaire et au sein de la direction politique de certains pays. Je ne parle pas de ceux qui critiquent ou désapprouvent l’attitude d’Israël. Je connais des personnes qui ne sont pas d’accord avec tel ou tel gouvernement en France, ou qui tout simplement n’aiment pas les Français, mais je ne les ai jamais entendu dire que la France ‘n’avait pas le droit d’exister’. Malheureusement, en ce qui nous concerne, nous voyons que des gens, qui sont en désaccord avec l’Etat d’Israël ou qui l’attaquent, prônent en fait sa destruction. Et comme ils ne parviennent pas à le faire concrètement, ils tentent de détruire les fondements mêmes des droits de l’Etat juif ou des droits des Juifs sur leur Etat. Nous menons de notre côté un combat acharné dans le monde entier. Je constate avec satisfaction que de nombreuses communautés juives comprennent qu’il ne s’agit pas là d’un problème propre à Israël mais qu’il concerne tout le peuple juif. C’est pourquoi ces communautés nous soutiennent dans ce combat et j’espère donc que nous parviendrons à renverser la vapeur.
CDP: Cela signifie-t-il que vous ne voyez pas de différence entre antisionisme et antisémitisme ?
YE: L’antisémitisme fait partie de la campagne menée contre nous mais je ne pense pas que toutes les critiques émises contre Israël sont le fait d’un sentiment antisémite. Malheureusement, on peut constater qu’actuellement l’antisémitisme n’a pas disparu mais se trouve dans un état latent. Il s’avère que dans le monde qui a suivi la Shoah, et qui est plus démocratique, il n’est pas de bon ton pour une personne respectable, comme par exemple un professeur d’université éminent, un journaliste connu ou un dirigeant politique influent, d’être ouvertement antisémite. Alors, ces personnes trouvent un exutoire en affichant des opinions antisionistes ou anti-israéliennes. C’est ainsi que tout ce qu’il est interdit de dire à propos des Juifs devient licite lorsqu’il s’agit d’Israéliens comme on l’a vu récemment dans les tentatives d’incriminer des soldats qui, selon ces accusations mensongères, « se seraient livrés au trafic d’organes » de Palestiniens pendant l’opération Plomb Durci (cela rappelle clairement les accusations de meurtre rituel).
CDP: Malheureusement, votre travail de Hasbara n’est pas nécessaire seulement à l’étranger. En Israël, certaines personnes appellent au boycott des produits israéliens. Il y a même des professeurs d’université qui vont à l’étranger donner des conférences où ils dénigrent Israël. Ne serait-il pas possible de présenter un projet de loi permettant d’empêcher ces provocations et ces actions hostiles menées par des Israéliens militant contre l’Etat?
YE: La loi prévoit quelque chose à ce sujet mais ce n’est pas toujours simple de prendre des mesures dans ce domaine étant donné qu’Israël est un Etat démocratique, ce dont nous sommes d’ailleurs très fiers. Et il l’est resté malgré les problèmes liés au conflit et au terrorisme. Toutefois, il est clair qu’il faut mettre un terme à certaines actions comme par exemple l’appel au boycott. Parfois, ce sont des gens qui touchent leur salaire de l’Etat qui appellent à le boycotter. Nous cherchons à légiférer dans ce domaine mais il faut déjà dénoncer cette hypocrisie, révéler d’où provient par exemple le financement de ce type d’actions. Je pense que lorsque le public en apprendra davantage à ce sujet, il comprendra que même si ces gens là sont encore israéliens, techniquement parlant, ils n’ont plus leur place ici.
CDP: Vous avez certainement entendu parler de cette initiative assez récente du conseil régional de Samarie, dirigé par Guershon Messika (en poste entre les années 2007 et 2015), qui organise des tournées dans la région pour des hommes politiques et des journalistes ignorant tout de la situation sur le terrain et découvrant alors une réalité et tout un monde qu’ils ne connaissaient pas. Comment expliquez-vous le fait que tant de gens parlent de la situation et expriment leurs opinions alors qu’ils n’ont jamais mis les pieds en Judée-Samarie, qui se trouve pourtant, comme l’a si bien souligné le journaliste Avri Guilad, à 23 minutes à peine du centre du pays ?
YE: J’habite moi-même en Judée-Samarie, plus précisément dans le Goush Etsion, depuis vingt trois ans, et je suis tout à fait conscient de ce problème. Un certain nombre de visiteurs qui sont venus chez moi ont eu la franchise de reconnaître que leur venue avait totalement modifié leur manière de voir concernant les localités juives. Je tiens à dire tout d’abord combien l’initiative du conseil de Samarie est louable, elle rejoint d’ailleurs l’action de certaines localités qui accueillaient elles aussi des visiteurs d’Israël et de l’étranger pour leur permettre de voir la vérité, sans leur faire subir le moindre endoctrinement. La Hasbara doit se faire selon le même principe et montrer la situation telle qu’elle est. Nombreux sont ceux, à l’étranger, qui ont une vision totalement déformée d’Israël et sont persuadés par exemple qu’il y a constamment la guerre. Il est donc important de montrer, comme le fait Guershon Messika, comment la vie se déroule ici.
CDP: Guershon Messika a déclaré justement, dans le cadre de cette campagne d’information, qu’il avait compris que l’ignorance était le pire ennemi d’Israël. Vous partagez cette opinion ?
YE: Tout à fait. Je pense que le fait de découvrir la situation sur le terrain, sans l’intermédiaire des médias, mais en revanche en se rendant compte du contexte humain, permet aux visiteurs d’appréhender les choses de façon tout à fait différente. Cela ne veut pas dire qu’ils modifieront tous leurs opinions politiques mais du moins, ils pourront devenir de véritables interlocuteurs et ne nous donneront plus l’impression de venir d’une autre planète.
CDP: Concrètement parlant, quels outils utilise votre ministère pour rendre plus efficace votre travail d’information ? Dans quels domaines intervenez-vous plus particulièrement et quels résultats obtenez-vous ?
YE: La Hasbara peut se faire de différentes façons mais dans notre ministère, nous avons opté pour la diplomatie populaire, comportant trois points essentiels. D’une part, nous avons demandé aux citoyens israéliens de devenir nos ambassadeurs itinérants lors de leurs voyages à l’étranger. Ils sont à même de présenter à leurs interlocuteurs un certain nombre de faits que malheureusement, trop de gens ignorent à cause d’une information déformée. Nous avons ouvert dans ce but un site Internet, nous avons publié des brochures que nous distribuons dans les aéroports.
Nous formons également des délégations qui se rendent à l’étranger. Jusqu’à présent, le public a réagi très positivement à notre initiative et plus de 200 000 personnes ont consulté notre site. Par ailleurs, nous associons nos amis des communautés juives de diaspora à notre action en faisant appel à ceux qui ont visité Israël dans le cadre de programmes comme Taglit, les Maccabiades, Massa, ou lors de séjours d’un an dans une université israélienne ou dans une yeshiva. Il s’agit pour la plupart de jeunes qui rentrent ensuite dans leurs communautés et retournent dans leurs campus et peuvent alors devenir les meilleurs défenseurs de l’Etat d’Israël. Et là encore, il ne s’agit pas de discuter de l’opération Plomb Durci ou du rapport Goldstone mais de parler de la vie qu’on mène en Israël.
Actuellement, nous travaillons sur un projet permettant de conserver le contact avec ces personnes. Pour ce qui est de nos interventions dans les médias, je pense que cela a moins d’impact que l’Internet par exemple. J’interviens souvent dans les médias et je ne prétends pas minimiser l’importance de ces interviews mais je pense que le contact personnel et les communications par Internet ne sont pas moins importants. En outre, et c’est le troisième volet de notre action, nous envisageons de faire appel à nos amis non-juifs, et ils sont D.eu merci assez nombreux, pour organiser avec eux un certain nombre d’activités. Ce sont des gens qui ont visité Israël, qui connaissent la réalité israélienne, et qui peuvent donc nous apporter une aide précieuse.
CDP: Abordons à présent la situation politique et la question du « gel »: les habitants de Judée-Samarie peuvent-ils espérer que la construction reprendra d’ici trois mois, comme l’a annoncé le gouvernement ?
YE: J’espère qu’il n’y aura aucun changement. Le Premier ministre (Netanyahou à l’époque) a déclaré à maintes reprises que cette période de « gel » prendrait fin en septembre. Etant moi-même un habitant de cette région, je peux attester que les résidents ont sérieusement souffert de cette situation, de nombreuses familles ont dû renoncer à leurs projets de construction à cause de cette décision. De mon côté, je ferai le maximum pour que dès le mois de septembre, tous les plans de construction puissent être réalisés comme prévu.
CDP: Ne pensez-vous pas qu’en acceptant la création d’un Etat palestinien, Israël affaiblit ses positions sur la scène internationale ?
YE: Personnellement, je n’aurais pas proposé cette solution de deux Etats. A l’heure actuelle, personne n’est en mesure de savoir quelle est la bonne solution et malheureusement, nous en sommes encore loin et le débat reste, pour l’instant, très théorique. Ce que nous devons faire, en revanche, c’est d’une part développer la Hityachevout (peuplement du pays) et d’autre part renforcer la sécurité des citoyens d’Israël. Avant de discuter de la question des deux Etats – ou pourquoi pas, de trois Etats puisqu’on pourrait s’acheminer vers une séparation totale entre Gaza et la Judée-Samarie- il est urgent d’instaurer une coopération, par exemple dans le domaine de l’environnement, de l’eau, de l’agriculture, et sur des questions économiques. Et si l’on parvient à un stade de confiance mutuelle, on pourra alors toujours parler du reste mais il s’agit comme on le sait d’un long processus.
CDP: Je voudrais qu’on parle maintenant de ce qui se passe en France et citer, par exemple, l’action du groupe Europalestine qui organise tout l’été une campagne anti-israélienne. Comment peut-on réagir, selon vous, à une telle opération ?
YE: Comme je l’ai dit précédemment, on ne peut pas tout solutionner par des débats. Laissons-les donner libre cours à leur haine et nous, nous allons présenter des faits historiques incontestables, des réponses qui montrent que la vérité est dans notre camp. Pour toute personne objective, nos droits sont évidents, que ce soit à Jérusalem ou en Judée-Samarie. Et il est clair aussi que tous les slogans sur les « frontières de 67 » ou sur les « implantations constituant un obstacle à la paix », n’ont rien à voir avec la réalité. Il suffit de rappeler que l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) est née en 1964 alors qu’Israël n’est retourné en Judée-Samarie et dans la bande de Gaza qu’en 1967. Dans ce cas, à l’époque, que voulaient-ils libérer? Tout cela prouve notre bonne foi. Et puis, nous avons eu la preuve que ce débat restait tout à fait théorique, lorsque nous avons malheureusement évacué toutes les localités de la bande de Gaza. Au lieu d’obtenir la paix, nous avons reçu près de 10 000 roquettes. Et donc, apparemment, la source du conflit ne se trouve pas dans la question des frontières de 67 et il ne sera pas réglé par l’évacuation de ces localités.
CDP: N’y aurait-il pas également un problème de terminologie ? Lorsqu’on lit l’actualité israélienne dans certains journaux français, on constate qu’ils parlent par exemple de « l’implantation de Ramat Shlomo » (quartier nord de Jérusalem) ou de « quartiers de colonisation » à Jérusalem construits après 1967. Ne croyez-vous pas qu’il faut avant tout corriger cette erreur de langage ?
YE: Vous relevez là un point très important. Nous avons malheureusement renoncé à nous battre sur ces questions linguistiques dans de nombreux domaines. Nous parlons trop facilement de « colonies » en oubliant d’évoquer des faits fondamentaux. On parle souvent de « territoires » au lieu de dire la Judée-Samarie et je pense qu’il est très important de faire attention aux termes qu’on utilise. Et dans ce domaine, je crois que nous devons prendre exemple sur les Palestiniens. Chez eux, le langage revêt une grande importance et je suis sûr que personne ne s’est aperçu, par exemple, qu’aucun dirigeant palestinien (et je ne parle pas du Hamas ou du Djihad) n’a jamais déclaré qu’il reconnaissait le droit à l’existence de l’Etat d’Israël. Les gens répondent alors que c’est impossible, que c’est sûrement inscrit dans les accords. Après vérification, on constate que certains leaders ont dit qu’ils reconnaissaient l’existence de l’Etat d’Israël. Les Palestiniens sont très pointilleux dans ce domaine et font attention à ce qu’ils disent. Et je propose que dans le cadre de notre mission d’information et de la campagne dont vous avez parlée, nous ne négligions pas non plus l’impact des termes que nous utilisons. Et lorsque nous emprunterons la terminologie appropriée, nous pourrons progresser dans la bonne direction, même dans les médias qui ne nous sont pas toujours très favorables.
CDP: Je voudrais qu’on parle maintenant de l’action menée par le nouveau mouvement européen JCall, qui ressemble au J Street américain et s’oppose à la politique de l’Etat d’Israël, en soutenant les Palestiniens. Que pensez-vous de ce mouvement ? Ne croyez-vous pas que c’est le moment de créer un lobby pro-israélien en Europe à l’image de l’AIPAC américain pour défendre les positions d’Israël en utilisant les mêmes moyens ?
YE: Je pense en effet qu’on pourrait être plus actif et qu’il faudrait prendre exemple sur l’AIPAC en tenant compte toutefois des différences. En particulier, l’Union européenne avec son Parlement ne constitue pas un Etat unifié et ne peut donc pas être comparée aux Etats-Unis. Il existe déjà des groupes qui tentent d’agir dans ce sens. Quant aux organisations libérales ou gauchistes, elles ne constituent pas un phénomène nouveau. Mais ce que je trouve irritant et même inquiétant, c’est que les militants de JCall, issus de la communauté juive, tiennent absolument à se dire pro-israéliens. Je ne comprends pas leur position: il existe un gouvernement élu en Israël, et tout le monde a le droit de ne pas être d’accord avec la politique de ce gouvernement et de la critiquer, mais dans ce cas-là, on ne peut pas prétendre être un lobby pro-israélien.
CDP: Avant de nous quitter, Youli Edelstein, comment définiriez- vous, de façon globale, l’objectif essentiel de la Hasbara israélienne ? Quels résultats souhaiteriez-vous obtenir ?
YE: Je crois qu’il faut avant tout que soit rendu à l’Etat d’Israël son visage humain. Nos ennemis l’ont défiguré, parlant de « machine de guerre israélienne », « d’occupation israélienne », de « colonies israéliennes ». En outre, les gens à travers le monde doivent comprendre que l’Etat d’Israël est certes un Etat mais qu’il est fait également d’une population d’êtres humains. Ils ne sont pas toujours conscients de l’apport de l’Etat d’Israël dans un grand nombre de domaines. Je prendrais pour exemple la campagne de boycottage des produits israéliens. Les militants pro-palestiniens se rendent dans des supermarchés et emportent tous les fruits et les légumes provenant d’Israël afin que personne ne les achète et vont les jeter. Oui mais si une personne se trouve hospitalisée, est-ce qu’elle va vérifier si ses médicaments ou les appareils médicaux viennent d’Israël ? Si quelqu’un se trouve en face de moi lors d’une conférence de presse et me parle de boycott alors qu’il se sert d’un ordinateur portable, va-t-il vérifier si certains logiciels ou certaines pièces de son ordinateur ne sont pas fabriqués en Israël ? Si nous parvenons à faire comprendre à ces gens là combien l’Etat d’Israël, aussi petit soit-il, joue un rôle important pour des milliards de personnes dans le monde, il sera alors beaucoup plus difficile à ses détracteurs de lancer un appel au boycott ou à l’isolement d’Israël.