De la Shoah à Israël : une seconde vie pour un Sefer Tora

Photo: Meir Elipur

Un Sefer Tora, oublié de tous, a refait surface grâce à une rencontre émouvante qui n’est certainement pas le fait du hasard. Sa redécouverte a permis de rendre un hommage vibrant à un rabbin français et à son épouse, totalement dévoués à la communauté et déportés pendant la Seconde Guerre mondiale à Auschwitz pour avoir sauvé des enfants juifs. 

Tout a commencé par un voyage en France de Daniel Bauer et de sa femme Myriam, qui vivent en Israël depuis de nombreuses années. En déplacement à Annecy pour une conférence professionnelle, ils ont décidé de rester pour Shabbat sur place et se sont rendus vendredi soir à la synagogue. A la fin de l’office, ils ont été abordés par les responsables de la communauté qui tenaient à en savoir davantage sur leurs hôtes de passage.  

Dès que Daniel Bauer leur a indiqué son nom de famille, ils ont réagi en lui demandant s’il avait un lien de parenté avec le rabbin Robert Reuven Meyers et son épouse Suzanne Esther née Bauer, tous deux assassinés par les Nazis. Daniel Bauer leur a répondu qu’il s’agissait de son oncle et de sa tante. Suzanne Meyers était en effet la sœur aînée de son père, Paul Bauer, qui fut notamment le grand rabbin de la synagogue de la rue Buffault, à Paris.  

Ses interlocuteurs, très émus, lui ont alors raconté qu’un Sefer Tora, apporté pendant la guerre à Annecy par le Rabbin Meyers, était précieusement conservé depuis des décennies dans l’arche sainte de la synagogue. Daniel Bauer, né après la guerre, avait appris par l’une de ses cousines que son oncle et sa tante avaient séjourné à Annecy avant leur déportation mais il ignorait l’existence de ce Sefer Tora.  

Il s’est avéré qu’après l’armistice de 1940, Robert Meyers, rabbin de la synagogue de Neuilly depuis 1928, avait été chargé du rabbinat de Savoie et de Haute-Savoie et avait pris ses fonctions à Annecy où des Juifs d’Europe fuyant le nazisme s’étaient réfugiés. Lorsqu’il s’était installé dans la ville avec son épouse et ses deux enfants, il avait emporté avec lui un Sefer Tora pour l’utiliser le Shabbat et les jours de fêtes. 

Quand les Allemands ont envahi le sud de la France, Robert et Suzanne Meyers ont tenu à rester à Annecy, malgré le danger, et ont œuvré sans relâche pour sauver des enfants juifs en les faisant passer en Suisse. Leurs propres fils ont suivi eux aussi cette filière et ont ainsi échappé aux griffes nazies. Malheureusement, le 28 décembre 1942, le rabbin et son épouse ont été surpris lors d’une de leurs opérations à Annemasse et immédiatement arrêtés par la Gestapo. Transférés à Drancy, ils ont été déportés le 13 février 1943 à Auschwitz où ils ont été assassinés. 

Le Sefer Tora, qui avait été caché sous des couvertures dans le grenier de leur logement de fonction, n’a pas été trouvé par les Allemands qui ont occupé les lieux par la suite et les ont pillés. Ce n’est qu’à la Libération qu’il a été découvert par les propriétaires juifs de l’appartement qui avaient pu réintégrer leur domicile. 

En 1963, la communauté juive d’Annecy a connu un nouvel essor avec l’arrivée de Juifs d’Afrique du Nord. Ces derniers ont organisé des offices dans la synagogue et ont utilisé leurs propres rouleaux de la Tora qu’ils avaient emportés avec eux. Le Sefer Tora du Rabbin Meyers a alors été déposé avec soin dans l’arche sainte d’où il n’est pas sorti au cours des années qui ont suivi. 

Daniel Bauer a été très impressionné par cette histoire qui concernait sa famille proche. En outre, le fait qu’il la découvrait dans des circonstances assez exceptionnelles l’incitait à faire quelque chose de concret pour ce Sefer Tora. Avec l’accord de la communauté d’Annecy et du rabbin Suissa, il s’est adressé à un Sofer d’Aix-les-Bains pour qu’il l’examine. Les résultats de l’expertise ont indiqué qu’il avait été écrit en Allemagne 150 ans plus tôt et était relativement en bon état. 

Daniel Bauer s’est également entretenu avec des membres de sa famille afin d’entendre leur avis. Finalement, il a décidé de le faire venir en Israël ‘pour lui donner une seconde vie’ après avoir entrepris toutes les démarches nécessaires et obtenu les autorisations requises pour ce transfert.  

Un an après ce séjour mémorable à Annecy, il est venu chercher son Sefer Tora. De retour en Israël sur un vol d’El Al avec son précieux fardeau, il a été très touché par le comportement du personnel navigant qui l’a traité avec un profond respect. A son arrivée, il a confié le Sefer Tora au Machon Ot qui l’a restauré. Comme il était ancien, il a fallu aux experts plus de six mois pour effectuer ce délicat travail.  

Le jeudi soir 12 Teveth 5780, 9 janvier 2020, une cérémonie très émouvante a eu lieu en la synagogue du quartier de Mitzpé Nevo, à Maalé Adoumim, près de Jérusalem, pour accueillir le Sefer Tora totalement rénové qui a ensuite été confié à la communauté de Bné Dekalim, composée d’anciens habitants du Goush Katif. 

L’événement a attiré beaucoup de monde. Il y avait notamment des membres de la famille Bauer, dont deux cousines venues spécialement de France, qui voulaient par leur présence saluer cette belle initiative et rendre hommage à Reouven et Esther Meyers, disparus dans la Tourmente. Parmi les invités se trouvaient également des représentants de la communauté juive d’Annecy : le rabbin Suissa, accompagné de son épouse, et le président, Denis Moos, dont les grands-parents avaient reçu les Meyers pendant la guerre. Dans son discours, Daniel Bauer a tenu aussi à rappeler le souvenir de sa première épouse Vered Bat Tsipora, décédée prématurément il y a vingt ans des suites d’une grave maladie. 

VOIR VIDEO https://youtu.be/QRUS0n6fbeM